...elle est falsifiée pour introduire la seule critique de l’Occident. Ne pouvant pas reprendre toute l’histoire de l’esclavage, je rappellerai rapidement quelques données élémentaires.

  • L’esclavage se perd dans la nuit des temps et les noirs n’en ont pas été les seules victimes, comme les Occidentaux n’ont pas été les seuls esclavagistes. Le mot «esclave» vient du mot «Slave», les Slaves païens ont en effet fourni les contingents les plus nombreux d’esclaves pendant le haut Moyen-âge, vendus par les Vénitiens aux arabo-musulmans. Si esclavage et colonisation se sont rejoints aux XVIIe et XVIIIe dans le commerce triangulaire pratiqué par des commerçants, et non par des colons, l’esclavage n’est pas inhérent à la colonisation occidentale, il existait des millénaires avant et exista après. Bien au contraire, la colonisation entraîna la disparition de l’esclavage dans les colonies. Avant même la colonisation de l’Afrique, les Européens avaient agi pour faire supprimer l’esclavage en Tunisie: «Après les trois mois de règne de son frère Othman, le fils de Mohammed bey, Mahmoud bey (1914-1824), se vit contraint par les puissances européennes à supprimer l’esclavage, malgré la perturbation économique que devait entraîner cette brusque mesure (1819).» . Lorsque les Français sont arrivés en Afrique du Nord et en Afrique noire au XIXe siècle, ils ont trouvé des esclaves. L’esclavage était pratiqué par les Arabes et les noirs depuis des siècles. Les ethnies noires se réduisaient en esclavage entre elles et ce sont des chefs noirs qui par des razzias alimentaient les négriers occidentaux aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce qu’on oublie trop souvent de rappeler. On estime que fin XVIIIe et au début du XIXe en Afrique noire, un quart des hommes avaient un statut d'esclave ou de travailleur forcé. C'étaient des prisonniers de guerre ou des prisonniers pour dettes. La guerre et les dettes étaient les sources traditionnelles où s’approvisionnaient les marchands d’esclaves. Mais, si les Occidentaux supprimèrent l’esclavage, ils laissèrent le travail forcé.
  • Les Arabes réduisirent en esclavage pendant des siècles, non seulement des noirs, mais aussi des chrétiens par des razzias sur les côtes occidentales et la piraterie barbaresque: «Plus que des marchandises pillées, les Barbaresques tiraient profit des captifs. Le Chrétien cessait d’être un infidèle qu’on arrachait à son pays pour devenir un objet de négoce, dont on essayait de se débarrasser le plus vite et le plus cher possible.» . L’église catholique les racheta pendant des siècles. C’est cette piraterie qui fut un le motif essentiel de la colonisation de l’Algérie.

Pour illustrer ces propos, je vous propose de lire un texte écrit par le général E. Daumas et A. de Chancel, publié en 1856 . Rappelons qu’à cette époque, la France n’est présente en Afrique que sur le littoral algérien et qu’à cette date elle avait aboli l’esclavage depuis huit ans, en 1848. Le Sahara n’est pas encore bien exploré et il n’existait à cette date aucune colonie française en Afrique noire. Le général Daumas dont le but était de recueillir des informations sur les peuples du sud saharien, s’était introduit dans une caravane qui partait de Metlily, en Algérie, pour se diriger vers un royaume musulman du sud saharien, du nom d’Haoussa, ayant pour chef le sultan Bellou le Victorieux et pour capitale Kachena , leurs habitants appelés à l’époque Foullanes étaient arabes. Ces caravanes trans-sahariennes furent les pourvoyeuses d’esclaves pour le bassin méditerranéen et les Arabes du nord pendant des siècles. Les Foullanes avaient soumis tous les royaumes noirs échelonnés sur les fleuves Niger et Sénégal. Aujourd’hui, ce royaume se situerait sur la frontière entre le Niger et le Nigeria. Dans un passage de son livre, il relatait les informations sur les conditions et les préceptes réglementant l’esclavage chez les musulmans. C’est ce passage que j’offre à votre lecture. Il se place dans l’esprit des gens qu’il accompagne et qu’il rencontre, il utilise le pronom «nous» pour représenter en fait les algériens de la caravane ou les habitants de la région. Je n’ai pas actualisé l’orthographe et l’ai laissée telle que le général Daumas l’utilisa: «Au centre de la place était posé par terre un énorme tambour qu’un vigoureux Nègre battait à tour de bras avec un bâton tamponné. (…) C’est le tambour du sultan; jamais il n’est battu que pour convoquer l’armée. (…) « Voici la volonté du serki : « Au nom du sultan Bellou le Victorieux, que la bénédiction de Dieu soit sur lui, vous tous, gens du Moutanin, êtes appelés à vous trouver ici demain au jour levant, en armes et montés, avec des provisions suffisantes pour aller, les uns dans le Zenfa , les autres dans le Zendeur , à la chasse des Koholanes idolâtres, ennemis du glorieux sultan notre maître. –Que Dieu les maudisse !» «Tout ce qu’ordonne le sultan est bon, répondirent les soldats; qu’il soit fait selon la volonté de notre seigneur et maître!» Le lendemain, en effet, les Mekhazenia , exacts au rendez-vous, se partagèrent en deux goums , dont l’un prit à l’Est et l’autre au sud-ouest, avec mission de tomber sur les points sans défense, d’en enlever les habitants, et de saisir tous les paysans occupés à la culture de leurs champs; en même temps, des ordres étaient donnés pour traquer à l’intérieur les Koholanes idolâtres. (…) En attendant le retour des goums qu’Omar avait envoyés à la chasse aux nègres, nous nous rendions tous les jours au marché des esclaves, Barka, où nous achetâmes aux prix suivants:

Un nègre avec sa barbe ………………………10 ou 15,000 Oudâas On ne les estime point comme marchandise, parce qu’on a peu de chance pour les empêcher de s’échapper. Une négresse faite, même prix pour les mêmes raisons……………………….10 ou 15,000 Un Nègre adolescent………………………….30,000 Une jeune Négresse, le prix varie selon qu’elle est plus ou moins belle………………………………………..….50 à 60,000 Un négrillon…………………………………...45,000 Une négrillonne………………………………..35 à 40,000

  • Le vendeur donne à l’acheteur les plus grandes facilités pour examiner les esclaves, et l’on a trois jours pour constater les cas rédhibitoires. On peut rendre avant ce temps expiré:

Celui qui se coupe avec ses chevilles en marchant; Celui dont le cordon ombilical est trop exubérant; Celui qui a les yeux ou les dents en mauvais état; Celui qui se salit comme un enfant en dormant; La négresse qui a le même défaut ou qui ronfle; Celle ou celui qui a les cheveux courts ou entortillés (la plique). Il en est d’ailleurs que nous n’achetons jamais, ceux, par exemple qui sont attaqués d’une maladie singulière que l’on appelle seghemmou .– (…). On n’achète pas non plus ceux qui, étant âgés, ne sont pas circoncis; Ni ceux qui viennent d’un pays situé au sud de Noufi: ils n’ont jamais mangé de sel, et ils résistent difficilement au changement obligé de régime; Ni ceux d’une espèce particulière qui viennent du sud de Kanou: ils sont anthropophages. On les reconnaît à leurs dents qu’ils aiguisent et qui sont pointues comme celles des chiens. Nous craindrions pour nos enfants.- ils mangent d’ailleurs, sans répugnance les animaux morts de mort naturelle (djifa, charognes). –On dit qu’ils nous traitent de païens, parce que nous ne voulons que les animaux saignés par la loi ; car disent-ils, vous mangez ce que vous tuez, et vous refusez de manger ce que Dieu a tué. Nous n’achetons pas non plus ceux appelés Kabine el Aakoul. Ils passent pour avoir la puissance d’absorber la santé d’un homme en le regardant, et de le faire mourir de consomption. On les reconnaît à leurs cheveux tressés en deux longues nattes de chaque côté de la tête. L’achat des Foullanes, des Négresses enceintes et des Nègres juifs est sévèrement prohibé par ordre du sultan. L’achat des Foullanes, parce qu’ils se vantent d’être blancs; des Négresses enceintes, parce que l’enfant qui naîtra d’elles sera propriété du sultan, s’il est idolâtre, et libre s’il est musulman; des Nègres juifs, parce que tous sont bijoutiers, tailleurs, artisans utiles ou courtiers indispensables pour les transactions commerciales; car sous la peau noire ou sous la peau blanche dans le Soudan , dans le Sahara, dans les villes du littoral, partout les juifs ont les mêmes instincts et le double génie des langues et du commerce. Pour éviter la fraude, une caravane ne sort point à Haoussa sans que les esclaves qu’elle emmène aient été attentivement examinés; et il en est de même encore à Taoussa, à Damergou et à Aguedeuz, chez les Touareug, où Bellou a des oukils chargés des mêmes soins. Le marchand qui contreviendrait à ces ordres s’exposerait à voir toutes ses marchandises confisquées. En un mot, les esclaves proviennent des ghazias razzias faites sur les Etats nègres voisins avec lesquels Haoussa est en guerre, et dans les montagnes du pays, où se sont retirés les Koholanes qui n’ont pas voulu reconnaître la religion musulmane; des enlèvements de ceux qui, observant la religion nouvelle, paraissent regretter l’ancienne, et sont hostiles au pouvoir ou commettent quelques fautes. (…)

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