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samedi 29 mars 7777

_____LA COLONISATION OU LE MENSONGE DU MAITRE.. « En vérité, ce n’est pas la négritude qui fait question aujourd’hui. Ce qui fait question : c’est le racisme, c’est la recrudescence du racisme dans le monde entier ; ce sont les foyers de racisme..

1. littérature CESAIRE OU UNE NEGRITUDE OUVERTE Simon OBANDA

http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1669

Ethiopiques n°83. Littérature, philosophie et art

2ème semestre 2009

Auteur : Simon OBANDA 1

Aimé Césaire est l’un des pères de la Négritude, avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor. Par contre, c’est lui Césaire qui a créé le terme négritude pour traduire le mouvement littéraire des étudiants noirs dans les années 30. Il a professé, du début de ce mouvement jusqu’à la fin de sa vie, une Négritude contraire à celle de Léopold Sédar Senghor. En effet, la Négritude de Senghor est idéologique et politique, tandis que celle de Césaire est littéraire et axiologique. Il y a plus d’une décennie, Césaire confiait au cours d’une conférence à l’Université de Floride à Miami (USA) que certains, du fait de leur adhésion à l’universel, mais un universel quasiment fictif, considéraient la question de l’identité des Noirs comme un enfermement sur soi, une prison. Pour sa part, le poète martiniquais dit ce qui suit :

Je n’ai pas cette conception carcérale de l’identité, l’universelle, oui. Mais il y a belle lurette que Hegel nous en a montré le chemin : l’universel, bien sûr, mais non pas par négation, mais comme approfondissement de notre propre singularité 2.

La préoccupation qui anime la Négritude césarienne est la suivante : qui est le Noir ? Quelle est sa culture ? Il s’agit au fond de la quête de son identité et de sa culture, face à tous les discours dépréciatifs construits par l’Europe contre les Noirs ; et la Négritude apparaît tout naturellement comme une réponse. C’est ainsi que la Négritude doit continuer, selon Césaire, à approfondir la connaissance de l’identité noire.

Maintenir le cap sur l’identité (...), pense-t-il, ce n’est ni tourner le dos au monde ni faire sécession du monde, ni bouder l’avenir, ni s’enliser dans un solipsisme communautaire ou dans le ressentiment 3.

Sur cet aspect de la quête de l’universel, Césaire dit sa proximité avec son ami Senghor. Car, en fait, Senghor proclamait la civilisation de l’universel, comme le point autour duquel toutes les nations se rencontreront pour réaliser le rendez-vous du donner et du recevoir. Dans cette perspective, la démarche de Césaire consiste à inciter les Noirs à l’approfondissement de la connaissance de la culture noire dans le but de bien la partager avec d’autres qui ne la connaissent pas du tout ou ceux qui la méprisent. Son combat sera celui de la réalisation de cet engagement pour une fraternité nouvelle, fait sur la base d’une relation de connaissance et de respect réciproque. Mais alors, comment se faire connaître et se faire respecter si l’on ne se connaît pas soi-même ? Ainsi, nous dit-il, « notre engagement n’a de sens que s’il s’agit d’un ré-enracinement certes, mais aussi d’un épanouissement et de la conquête d’une nouvelle et large fraternité » 4.Ce mot de « ré-enracinement » implique que les Noirs doivent se réapproprier leur culture pour lui donner sens. Mais un sens qu’ils devront partager avec les autres cultures. Cette démarche n’est pas un retour au passé, une apologie d’un âge d’or d’un passé dépassé ; mais il s’agit de faire un inventaire critique des ressources morales, intellectuelles et culturelles qui fondent notre être-au-monde. Dans cette étude, nous allons tenter de montrer en quoi Césaire dans sa conception de la négritude s’est engagé pour l’ouverture contre le repli sur soi et la fermeture, au nom d’une certaine axiologie que l’on peut nommer humanisme. La lecture de La philosophie bantoue de Tempels permet de comprendre la retenue (la moralité) du poète martiniquais Césaire. Ainsi notre analyse historique de la pensée empruntera l’itinéraire suivant : Césaire et la Négritude ; le procès de l’Europe colonialiste ; la colonisation ou le mensonge du maître et la Négritude césairienne : identité, histoire et humanisme.

1. CESAIRE ET LA NEGRITUDE A la question de l’identité noire avec son histoire, ses interrogations, ses remises en cause, ses soubresauts, ses espoirs et désespoirs, Aimé Césaire développe une négritude ferme, ouverte et humaniste, respectueuse de l’homme quel qu’il soit ; parce que pour lui la négritude était une manière de vivre l’histoire dans l’histoire.

La Négritude est une manière de vivre l’histoire dans l’histoire. L’histoire d’une communauté dont l’expérience apparaît, à vrai dire, singulière avec ses déportations de populations, ses transferts d’hommes d’un continent à l’autre, les souvenirs de croyances lointaines, ses débris de cultures assassinées 5.

Il s’agit en effet pour des peuples qui ont connu tant de souffrances, autant dans leur corps que dans leur esprit, de reprendre leur destin en main pour participer à la grande Histoire humaine selon des valeurs propres à leur culture. Reprendre son destin en charge revient à dire que les nègres doivent faire l’histoire (la leur) en travaillant en collaboration avec d’autres peuples, sans quoi la négritude ressemblera à un autre racisme, un repli sur soi qui serait alors suicidaire. De même, la négritude à la césairienne n’est pas un mouvement de vengeance militaire contre l’Europe. C’est la raison pour laquelle quand s’est posée la question de dédommager la victime de l’esclavage des Noirs, la position de Césaire est claire et hautement morale. En ce sens, elle a consisté à dire que ce n’est pas possible que l’on puisse calculer un dommage mental. En revanche, il faut que l’Europe s’attèle plutôt à poser les actions qui renforcent l’humanisme que de vouloir rechercher la réparation des actes du passé, difficilement évaluables. Il refuse cette démarche, parce que « La Négritude au premier degré peut se définir d’abord comme prise de conscience de la différence, comme mémoire, comme fidélité et comme solidarité » 6. C’est en fait vers une négritude ouverte sur les autres mondes, les autres peuples et les autres cultures que Césaire entend positionner ce mouvement ; mais un mouvement qui doit se fonder sur des valeurs morales authentiques. Lesquelles valeurs qui font que l’homme noir demeure un homme digne dans l’histoire de l’humanité. L’originalité de Césaire réside, par rapport à la négritude senghorienne, dans ce qu’il n’a jamais considéré la négritude comme un mouvement politique organisé contre l’Europe. Ainsi sa conception de la négritude en faisait une attitude de l’esprit. Pour lui,

La négritude résulte d’une attitude active et offensive de l’esprit. Elle est sursaut de dignité. Elle est refus, je veux dire refus de l’oppression. Elle est confort, c’est-à-dire combat contre l’inégalité. Elle est révolte (...) autrement dit, la négritude a été une révolte contre ce que j’appellerai le réductionnisme européen 7.

Cette négritude césairienne était axée sur la lutte intellectuelle contre les antivaleurs, une espèce d’axiologie, qui éviterait de tomber facilement dans des dérapages idéologiques. Même dans cette lutte ne pas perdre l’objectif essentiel, la revendication intellectuelle de la dignité de tout homme. Telle est la réponse de Césaire à l’attitude de l’Europe colonialiste. Et le Discours sur le colonialisme qu’il publie en 1950 est le texte le plus important écrit sur la question par un Noir.

2. CESAIRE ET LE PROCES DE L’EUROPE COLONIALISTE C’est dans son livre Discours sur le colonialisme 8 qu’Aimé Césaire soumet l’Europe à un jugement implacable. C’est à raison qu’il le fait. De toutes ses actions coloniales, Césaire pense que « l’Europe est indéfendable » 9. La gravité des faits coloniaux fait que l’on ne peut pas transiger avec cette Europe-là. On peut comprendre le ton dur de ce propos quand il affirme que « le plus grave est que l’Europe est moralement et spirituellement indéfendable » 10. Que faut-il entendre par là ? Pour peu que l’on considère le poids des mots et des maux. Moralement, l’Europe a fait croire que la colonisation était une bonne chose. Aucun peuple de l’Europe n’accepterait d’être colonisé par un autre peuple, fût-il européen. L’impératif catégorique kantien et les droits de l’homme l’en empêcheraient. Car, tu traiteras l’humanité qui est en toi comme celle d’autrui non comme un moyen mais toujours comme une fin. Ce principe fondamental de l’éthique servirait à décourager tout acte contraire à la dignité humaine, surtout si le premier article était brandi en même temps, à savoir : tous les hommes naissent égaux en droit. Tout ceci fait que l’Europe a sur sa conscience ce crime contre l’humanité. De cette façon, elle ne pourra plus recommencer. Cette prise de conscience du mal fait à autrui, sous le prétexte de lui apporter le bonheur, doit symboliser un hymne à la non-violence : plus jamais ça. C’est pourquoi, l’Europe est moralement et spirituellement responsable de cette bêtise humaine. C’est-à-dire tant au plan moral qu’au plan spirituel, elle a commis une faute irréparable. L’Europe se trouve donc inculpée. Il est intéressant de décliner les chefs d’accusation que Césaire dresse contre les Européens. Devant ce tribunal de l’histoire, un seul accusé l’Europe. Un seul motif d’accusation c’est la colonisation. Qu’est ce que la colonisation ? A cette question, Césaire répond que la colonisation n’est rien d’autre qu’une façon d’exploiter, de déconsidérer et d’affaiblir les autres qui ne sont pas soi.

« De convenir de ce qu’elle n’est point ; ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni l’élargissement de Dieu, ni extension du Droit, d’admettre une fois pour toutes, sans volonté de brancher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force, avec derrière, l’ombre portée maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes » 11.

En définissant la colonisation par ce qu’elle n’est pas, Césaire inculpe l’Europe de façon définitive et nettre. La colonisation européenne n’est rien d’autre qu’une barbarie suprême comparable au nazisme : « C’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbares ; que c’est du nazisme, mais qu’avant d’être victime, on en a été le complice que ce nazisme là où l’on a absous, on a fermé l’œil dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque là, il ne s’était appliqué qu’aux peuples non - européens » 12. Et le pire dans cette barbarie suprême que Césaire identifie au nazisme hitlérien, c’est que quand l’Europe tuait, pillait, spoliait les richesses naturelles, humiliait des peuples entiers non - européens. L’Europe a justifié le colonialisme comme étant une action de son humanisme. Ce qui est un mensonge grossier. Mais quand Hitler a fait la même chose en son propre sein ; tout de suite elle a crié au scandale. Et, elle a considéré Hitler comme le diable en personne. Le procès du nazisme était sans appel et a dépassé le procès de Nuremberg qui a condamné les acteurs du nazisme. Sur le slogan « plus jamais ça », l’Europe a fermé cet instant malheureux de son histoire. Si le nazisme s’est effectué sur la pureté de la race aryenne, la colonisation, mieux l’entreprise coloniale s’est construite autour d’un mensonge exécrable qui consistait à faire croire aux peuples non européens que leurs actions étaient civilisatrices et non économiques, religieuses (évangélisatrices) et non prosélytiques (se faire un nombre important d’ouailles, de convertis et de baptisés), de faire valoir les cultures locales et non d’imposer la leur. Cette attitude immorale amène le poète martiniquais à dire que

La malédiction la plus commune en cette matière est d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective, habile à mal pour les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’on leur apporte 13.

L’Europe, à travers ses hoplites, a pris le reste du monde pour des idiots, des sauvages, des gens qui n’avaient aucun éclairage de la raison pour se rendre compte de ce qu’elle les mentait.

3. LA COLONISATION OU LE MENSONGE DU MAITRE

14

Césaire voit dans toutes les actions des Européens travaillant en Afrique que division et mensonge. C’est le cas de l’œuvre du R.P Tempels missionnaire belge, qui a écrit en 1945 un livre intitulé La philosophie bantoue. Un livre dont le but apparent était de redorer l’identité noire dévalorisée par l’Occident.

Il serait vraiment inouï, écrit le R.P. Tempels, que l’éducateur blanc s’obstine à tuer dans l’homme noir son esprit humain propre, cette seule réalité qui nous empêche de le considérer comme un être inférieur ! Ce serait un crime de libre-humanité, de la part du colonisateur, d’émanciper les races primitives de ce qui est valeureux, de ce qui constitue un noyau de vérité dans leur pensée traditionnelle, etc. 15.

Ce propos du missionnaire exprime une générosité assez exceptionnelle pour cette époque ! A la vérité que constate-t-on dès qu’on ouvre le livre du Père Tempels. Il écrit ce qui suit :

Apprenez que la pensée bantoue est essentiellement ontologique ; que l’ontologie bantoue est fondée sur des notions véritablement essentielles de force vitale et de hiérarchie de forces vitales ; que pour le Bantou enfin l’ordre ontologique qui définit le monde vient de Dieu, et décret divin, doit être respecté...

Cette mentalité des Bantous que décrit Tempels est une porte d’entrée qu’il ouvre à d’autres Européens comme lui qui voudraient tenter l’aventure de l’Afrique colonisée. La philosophie bantoue est un vade me cum qu’il prescrit aux autres colons, afin que ces derniers puissent parvenir à comprendre la culture bantoue. Cette indication permet donc « aux grandes compagnies, aux colons, gouvernements, sauf le Bantou naturellement » de trouver leur compte. Tout le monde est gagnant sauf le concerné, le Bantou qui est exploité et humilié. Césaire s’insurge contre toutes ces flatteries et demande que l’on traite le Bantou autrement. C’est pour cette raison, étant entendu que là aussi, les Bantous se sont tellement fait avoir par ce discours du prêtre belge, que nous pouvons dire que Tempels ne décrit pas la réalité. C’est un divertissement que de penser que les Noirs ne sont pas des êtres sociaux avec des besoins réels. Au lieu de s’intéresser à des problèmes concrets qui se posaient aux individus, Tempels nous a distraits en amenant sur le terrain de la manipulation mentale qui nous éloigne des réalités africaines. Raison pour laquelle Césaire dit son malaise à travers les propos suivants :

La pensée des Bantous étant ontologique, les Bantous ne demandent de satisfaction que d’ordre ontologique. Salaires décents ! Logements confortables ! Nourriture ! Ces Bantous sont des purs esprits, vous dis-je : « qu’ils désirent avant tout et par -dessus tout ce n’est pas l’amélioration de leur situation économique ou matérielle, mais bien la reconnaissance par le Blanc et son respect, pour leur dignité d’homme, pour leur pleine valeur humaine 16.

Cette escroquerie ne pouvait pas durer aux yeux du poète martiniquais. Ce que désirent les Bantous d’abord et avant tout ce sont les meilleures conditions de vie. La dignité et la reconnaissance sont nécessaires pour l’homme quand il a tout ce qu’il faut pour vivre avec décence. En ce moment là la dignité et la reconnaissance qui découlent d’une vie équilibrée, viendront s’y ajouter comme « une cerise sur le gâteau ». Devant un homme démuni, pauvre et affamé, celui qui a son pain et sa nourriture a plus de dignité. C’est pourquoi, Tempels placera dans la hiérarchie des forces vitales, l’homme Blanc en premier et le noir en second : « Les Bantous nous ont considérés, nous les blancs et ce, dès le premier contact, de leur point de vue possible, celui de leur philosophie bantoue » et « nous ont intégrés, dans leur hiérarchie des êtres forces, à un échelon fort élevé » 17. Les Noirs se sont fait avoir sur toute la période allant de l’esclavage jusqu’à la mondialisation en passant par la colonisation. En somme, sur la philosophie bantoue de Tempels, Césaire aura des mots très durs et on comprendra sa colère. « Du R.P Tempels, missionnaire et belge, sa philosophie bantoue vaseuse et méphitique à son haut, mais découverte de manière très opportune, comme par d’autres, l’hindouisme, pour faire pièce au « matérialisme communiste, qui menace, paraît-il, de faire des Nègres des Gabonais moraux » 18. Tel sera le destin des Nègres, si l’on y prend garde. C’est un appel à une renaissance de l’identité qui nous est livré ici, il faut l’avouer.

4. LA NEGRITUDE DE CESAIRE : IDENTITE, HISTOIRE ET HUMANISME Nous nous référions à deux textes ; précisément deux discours que l’on peut considérer comme un testament de Césaire 19. La question de l’identité est une question légitime surtout pour les Noirs qui ont pendant des siècles subi l’humiliation la plus inimaginable. Même pour des citoyens martiniquais (français) comme lui car, « il s’agit de savoir si nous croyons à ce que l’on appelle les droits de l’homme. A liberté, égalité et fraternité, j’ajoute toujours identité. Car oui, nous y avons droit » 20. Faisant partie d’une France qui est censée incarner la civilisation, ne pas affirmer son identité noire, c’est céder à la thèse de l’assimilation et à celle de l’inculturation comme si les Noirs des iles ne posséderaient aucune culture. La même chose peut être dite au sujet de l’Afrique. Dans un monde où l’Europe se présente comme la référence, les Africains ont le droit d’affirmer leur identité et d’en être fiers. Pire encore face à l’idéologie réductionniste et négationniste de l’Occident, il faut plus, que jamais, affirmer son identité. Et le faire n’est ni un enfermement, ni un repli sur soir, mais simplement l’expression de son humanisme différent et en même temps partagé. Cette identité est donc en harmonie avec le passé, le présent et l’avenir, c’est-à-dire une identité pour l’avenir. Pour cela, Césaire écrit :

Je pense une identité non archaïsante dévoreuse de soi-même, mais dévorante du monde, c’est-à-dire faisant main basse sur tout le présent pour mieux réévaluer le passé et, plus encore, pour préparer le futur 21.

Il va de soi que certains pensent que cette hantise identitaire » est une régression pour notre démarche qu’elle nous annihilerait et nous paralyserait. A ceux là, nous répondons que la question de l’identité est pour nous une préoccupation noble et légitime. En effet, nous dit Césaire, « il faut que nous apprenions que chaque peuple a une civilisation, une culture, une histoire » 22. Cette « hantise identitaire » 23, comme le dit Césaire, est liée à l’histoire tourmentée de la civilisation noire. Une histoire marquée par des siècles d’esclavage, où le Noir est considéré comme une catégorie inférieure à l’homme blanc, et du colonialisme dont l’objet était d’appauvrir les noirs sur tous les plans, en créant ainsi un véritable désordre de la structure mentale de ce dernier. C’est la raison pour laquelle les Noirs ont dépassé l’étape de la vengeance et des règlements de compte.

« L’essentiel est que l’Afrique a tourné la page du colonialisme et en la tournant, elle a contribué à inaugurer une ère nouvelle pour l’humanité toute entière » 24.

C’est pourquoi, il prescrira à la négritude un respect des droits de l’homme. Parce que désormais, il faut lutter contre la barbarie.

Il faut lutter contre un droit qui instaure la sauvagerie, la guerre, l’oppression du plus faible par le plus fort. Ce qui est fondamental, c’est l’humanisme, l’homme, le respect dû à l’homme, le respect de la dignité humaine, le droit au développement de l’homme 25.

Les droits de l’homme en ce qu’elles garantissent la dignité humaine peuvent en même temps garantir le droit au développement plénier de l’homme et de tout homme. Il n’y a, sur ce point, pas d’amalgame à faire entre l’Europe inculpée et le respect des droits de l’homme. Parce que « la France n’a pas colonisé au nom des droits de l’homme » 26. Peu importe comment ces principes ont été consignés dans la Déclaration, le plus important c’est qu’ils défendent tout homme et tout l’homme 27. En somme, ce procès que Césaire a intenté contre l’Europe se situe dans la démarche des intellectuels noirs de la diaspora de lutter pour la revalorisation et le respect de l’identité noire niée et laminée. Contre l’Europe, le poète martiniquais aura des mots durs, notamment sur son action colonisatrice. Il écrit :

Le fait est que la civilisation dite européenne, la civilisation occidentale telle que l’ont façonnée des siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre deux problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial ; que déférée à la barre de la conscience, cette Europe-là est impuissante à se justifier et que de plus en plus, elle se refugie dans une hypocrisie d’autant plus odieuse qu’elle à de moins en moins de chance de tromper 28.

Stigmatisant cette hypocrisie de l’Europe, Césaire dira plus loin que cette civilisation occidentale est simplement moribonde, décadente et incapable.

Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec les principes est une civilisation moribonde 29.

Ce procès de Césaire accompagnera l’histoire de la françaphilosophique de la civilisation européenne avec celle de la civilisation noire. Mais la véritable question qui guette tout le monde aujourd’hui, c’est la question du racisme 30. C’est pourquoi nous pensons que Césaire est resté constant dans sa négritude. Une négritude qui promeut des valeurs réalisables de l’humanisme ; et non des principes métaphysiques. Il ne faudrait pas remplacer le racisme des Blancs contre les Noirs (eurocentrisme) par le racisme des Noirs contre les Blancs (la Négritude). Pour garder ce cap, il s’est appuyé sur des garde-fous moraux. Car la tentation est forte de justifier une faute par une autre. En fin de compte, Césaire est resté digne jusqu’à la fin de sa vie. Malgré le procès qu’il fait à l’Europe et pour lequel elle est inculpée, le poète martiniquais ne sort pas de sa vision des choses. Il n’invite nullement les Noirs à la lutte violente. Au contraire, il les invite à une démarche responsable qui doit les amener à la rencontre de l’Occident. Il ne fait pas de la Négritude un mouvement de revendication idéologico-politique. En restant fidèle à sa ligne de départ, il a montré sa grandeur d’esprit face à la violence raciste subie de la part de l’Occident. Là où d’autres ont prôné la lutte politique, lui, Césaire a préconisé la connaissance de soi pour un respect réciproque.

1 ERIAC, Université de Rouen, France

2 CESAIRE, A., Discours sur la Négritude, prononcé le 26 février 1987 à l’Université de Floride, Présence Africaine, 2004, p. 92

3 CESAIRE, A., op cit.

4 Id.

5 CESAIRE, A., Nègre je suis nègre je resterai, Paris, Albin Michel 2005, p. 82.

6 CESAIRE, A., Discours sur la Négritude, p 83.

7 CESAIRE, A., Discours sur la Négritude, Présence Africaine, 2004, p 84.

8 CESAIRE, A., Discours sur le colonialisme, Présence Africaine, 2004.

9 Ibid., p. 8.

10 Id.

11 CESAIRE, A., Discours sur le colonialisme, p. 9.

12 Ibid., p. 13.

13 CESAIRE, A., Discours sur le colonialisme, p. 8-9.

14 Ibid., p.13, 45.

15 TEMPELS, Placide, La philosophie bantoue, Présence Africaine, 1945.

16 CESAIRE, A., Discours sur le colonialisme, p. 45.

17 Id., p. 46.

18 Id., 40.

19 CESAIRE, A., Discours sur la négritude, op.cit., Nègre je suis, nègre, je resterai entretiens avec Françoise Vergès, Albin Michel, 2005.

20 CESAIRE, A., Nègre je suis, je resterai, p. 69.

21 Id., p.90.

22 CESAIRE, A., Nègre je suis, je resterai, op. cit.

23 Id., p. 89-90.

24 CESAIRE, A., Nègre je suis, je resterai, p. 87.

25 Id., p. 70.

26 Id., p. 69.

27 L’universalité des droits de l’homme dépasse aujourd’hui les conditions historiques qui ont donné naissance à ces mêmes droits, pour plonger ses racines dans toutes les cultures et les protéger. Des textes additionnels ont complété par la suite la Déclaration (1948) et protègent aujourd’hui la diversité culturelle.

28 CESAIRE, A., Discours sur le colonialisme.

29 Id.

30 CESAIRE, A., Discours sur la négritude, 90. Cette inquiétude que suscite le racisme, CESAIRE l’exprime dans son Discours sur la négritude, prononcé en Floride à Miami, il disait : « En vérité, ce n’est pas la négritude qui fait question aujourd’hui. Ce qui fait question : c’est le racisme, c’est la recrudescence du racisme dans le monde entier ; ce sont les foyers de racisme qui ça et là se rallument ».

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____James Baldwin (1924-1987) : écrivain militant d'un monde en noir et blanc... Humainement, personnellement, la couleur n’existe pas. Politiquement elle existe. Mais c’est là une distinction si subtile que l’Ouest n’a pas encore été capable de la faire.

Il serait lamentable de voir encore une fois les peuples se former en blocs sur la base de leur couleur. Humainement, personnellement, la couleur n’existe pas. Politiquement elle existe. Mais c’est là une distinction si subtile que l’Ouest n’a pas encore été capable de la faire ».

Citations

"La liberté n'est pas quelque chose que l'on peut donner, la liberté est quelque chose que les gens prennent ; et ils sont aussi libres qu'ils désirent être libres."

"Une phrase n’est bien construite que si elle est écrite de telle manière que personne ne remarque qu’elle a été construite. "

"L’argent est en tous points comme le sexe. On n’arrête pas d’y penser quand on en manque et on pense à autre chose quand on en a."

"L'amour arrache les masques sans lesquels nous craignons de ne pas pouvoir vivre et derrière lesquels nous savons que nous sommes incapables de le faire."

James Baldwin (1924-1987) : écrivain militant d'un monde en noir et blanc 11/10/2010



Baldwin se définissait comme un artiste noir, pauvre et homosexuel, ce qui lui offrait une place très particulière dans la société américaine des années 1950 mais également un regard très singulier sur le monde qui l’entourait.



Par Hugo Breant




L'environnement familial



James Baldwin jeune




James Baldwin est né le 2 août 1924 en plein quartier de Harlem, à New York. Sa mère, Emma Berdis Jones, a eu neuf enfants. James était l’aîné et jamais il n’a su qui était son vrai père.

Finalement, c’est son beau-père avec qui sa mère se marie quand il est encore enfant qui va l’adopter et l’éduquer, malgré des tensions constantes entre eux. David Baldwin est un ouvrier et un prédicateur qui conseille à sa mère d’envoyer James faire ses études secondaires au lycée DeWitt Clinton, dans le quartier du Bronx, et surtout d’intégrer l’église pentecôtiste de Harlem.

À peine âgé de 14 ans, James Baldwin commence donc à prêcher dans un quartier dont la misère le frappe tous les jours.







Les premiers pas littéraires



James Baldwin à Paris




Dans son adolescence, James Baldwin lit énormément à la bibliothèque publique du quartier. Puis, il commence à écrire, ce que son père adoptif refuse. Finalement, c’est un professeur qui va soutenir James. Une institutrice blanche, Orilla Miller, va ainsi mettre en scène sa pièce de théâtre. James dira d’elle : « C’est en partie parce qu’elle arriva très tôt dans ma terrible vie que je me suis toujours gardé de vouer de la haine aux Blancs ».

Après deux ans passés dans le New Jersey à travailler pour les chemins de fer, et avec le soutien du maire de New York, Fiorello LaGuardia, il s’installe à Greenwich Village, dans le quartier des artistes. James laisse de côté la foi que lui avait inculquée son père adoptif pour l’écriture.

Mais l’écriture de nouvelles, de courts essais ou de critiques littéraires ne lui permettent pas tout de suite de vivre de sa passion. Son premier livre sur les églises de Harlem, illustré par le photographe Theodore Pelatowski, ne rencontre par exemple aucun succès. Baldwin doit donc travailler à droite et à gauche et multiplier les petits emplois.



L'exil en France




En 1948, épuisé par les préjugés qu’il doit subir dans cette Amérique qui n’accepte pas une personne comme lui, un artiste noir et homosexuel, il décide de quitter le pays et de s’installer à Paris. Et c’est d’ailleurs ces questions de discrimination raciale et de ségrégation sexuelle qui vont par la suite marquer son œuvre.

En 1953 parait l’œuvre semi-autobiographique qui va le faire connaitre : Go Tell it on the Mountain, paru en français sous le titre La Conversion. En 1955, ses premiers textes sont publiés dans le recueil Notes of a Native Son. Son œuvre est par la suite composée de romans (L’homme qui meurt, Un autre pays, Si Beale Street pouvait parler ou encore Meurtres à Atlanta) et de pièces de théâtre (Le coin des Amen, publié en 1968 mais déjà mis en scène en 1954 par l’Université Howard et qui raconte l’histoire d’une femme évangéliste, l’adaptation du roman La chambre de Giovanni jouée dès 1965 dans les ateliers de l’Actors Studio et qui fit scandale à cause des scènes érotiques et homosexuelles, One Day, When I Was Lost ou Running Through Paradise).

En 1963, il obtient le Prix George Polk remis par l’Université de Long Island à Brooklyn. Un an plus tard, il publie Nothing Personal, un texte qui accompagne des photographies de Richard Avedon. En 1986, il lit certains de ses poèmes en étant accompagné de musiciens de jazz venus d’Europe et des États-Unis sur l’album A Lover’s Question.



Un écrivain engagé



James Baldwin avec Marlon Brando




Dès la fin des années 1950, James Baldwin a partagé sa vie entre Paris, le Sud de la France et New York. Il s’éloigne un temps de la France après avoir participé en 1956 au Congrès des écrivains et artistes noirs à Paris. Il trouve que les participants se focalisent trop sur la couleur de peau. Aux États-Unis, il a notamment activement participé aux mouvements de luttes pour les droits civiques.

Il s’est par exemple rapproché du Congress of Racial Equality et du Student Nonviolent Coordinating Committee. En 1963, il a rencontré Robert F. Kennedy, aux côtés d’Harry Belafonte et Lorraine Hansberry, pour discuter de l’enjeu du mouvement. Puis il a participé à la marche des droits civiques à Washington en compagnie de Luther King, de Marlon Brando et de Charlton Heston.

Ainsi, Baldwin publie quelques essais : en 1961, Nobody Knows My Name traite justement des relations entre Noirs et Blancs ; en 1963, il annonce dans The Fire Next Time, publié sous le titre « Down at the Cross » dans le New Yorker et le Time, que les Noirs et les Blancs doivent impérativement s’inventer de nouvelles relations dans l’avenir sous peine d’instaurer une ère de destruction ; en 1964, il écrit une pièce intitulée Blues for Mister Charlie qui raconte l’oppression vécue par les Afro-Américains. Baldwin refuse donc à tout prix le communautarisme noir et souhaite inventer une société multiraciale où Blancs et Noirs vivent ensemble.



Timbre en l'honneur de James Baldwin




Il écrit ainsi : « Nous autres, les Blancs et les Noirs, avons profondément besoin les uns des autres si nous avons vraiment l’intention de devenir une nation, si nous devons, réellement vais-je dire, devenir nous-mêmes, devenir des hommes et des femmes adultes Il serait lamentable de voir encore une fois les peuples se former en blocs sur la base de leur couleur. Humainement, personnellement, la couleur n’existe pas. Politiquement elle existe. Mais c’est là une distinction si subtile que l’Ouest n’a pas encore été capable de la faire ».

Baldwin s’inspirait notamment dans ses combats de Richard Wright, qu’il prenait comme modèle et décrivait comme « le plus grand écrivain noir du monde ». Notes of a Native Son renvoyait d’ailleurs à l’ouvrage de Wright Native Son. Les deux hommes ont eu l’occasion de se rencontrer en France et de sympathiser. Mais leur relation va se distendre lorsque Baldwin va critiquer la construction littéraire et le message de Native Son. Le FBI qui surveille les deux hommes n’aura d’ailleurs de cesse de faire en sorte de les diviser. Baldwin fut également un ami proche de Nina Simone et de l’écrivain Maya Angelou qui l’appelait son « ami et frère ».

Comme les chanteurs de blues, James Baldwin témoigne alors avec une voix forte de la violence d’une époque, des douleurs du racisme ou des errances de la société ségrégationniste américaine. Qu’il ait été pasteur, écrivain ou militant, Baldwin s’est toujours senti « investi d'une parole qui se doit d'être prononcée haut et fort, envers et contre tous ».



James Baldwin en couverture de Time magazine




James Baldwin a donc écrit la plupart de ses œuvres en exil, en France, en Suisse ou en Turquie. Après les assassinats des leaders noirs Malcom X, Martin Luther King et Medgar Evers et devant la multiplication des attaques contre lui, notamment celles d’Elridge Cleaver dans Soul on Ice, Baldwin décide de s’installer plus concrètement en France. Il ne parvient plus réellement à écrire et durcit ses opinions, notamment autour de la question de la violence. En 1983, il revient un peu aux États-Unis et devient professeur de littérature afro-américaine à l’Université du Massachussetts. En 1986, il est fait Commandeur de la Légion d’Honneur en France.

Dans l’un de ses romans, l’écrivain haïtien Dany Laferrière écrit de Baldwin : « Le miracle c’est que ce jeune homme de Harlem, maigrichon avec des yeux globuleux et une intelligence effrayante, soit devenu l’intellectuel le plus intrépide de sa génération, par l’audace de ses réflexions et le feu qu’il infuse à ses phrases Sa force réside dans cet effort désespéré de comprendre l’autre. Baldwin, c'est le plus important, c'est lui qui a tenté de traverser les frontières, c'est le seul qui aurait pu trouver un chemin. Après lui, cela a continué, l'Amérique blanche et l'Amérique noire, deux solitudes. On le voit avec les jeunes rappeurs, pourtant Baldwin les avait prévenu, personne ne sortira tout seul de cette histoire ».

David Linx, un jazzman belge qui fut un ami très proche de James Baldwin disait de lui : « Parfois je me demande ce que Jimmy dirait aujourd'hui, lui qui avait pressenti voilà 30 ans tellement de choses sur cette société chancelante. J'imagine ses sourcils qui se froncent, questionnant tout autour de lui d'un seul regard avant que la voix ne monte d'un coup, la voix qui chante et qui dénonce avec la violence d'un ouragan pour s'apaiser dans le sourire d'un nouveau né. Baldwin, la rage, l'exigence, la violence de la clarté et la plus grande lucidité. »




Baldwin meurt d’un cancer de l’œsophage le 1er décembre 1987, à Saint-Paul de Vence. Il est enterré au cimetière Ferncliff de Hartsdale, près de New York. En 2007, Alain Mabanckou fait revivre Baldwin en publiant Lettre à Jimmy, une correspondance imaginaire avec l’écrivain.

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____Livre: "L'enfant noir", de Camara Laye. "The dark child"

Livre: "L'enfant noir", de Camara Laye 31/01/2006



L'enfant noir, classique de la littérature négro africaine, raconte la vie d’un enfant africain qui, un peu malgré lui, s’éloigne peu à peu des valeurs, des traditions séculaires de son peuple.



Par Céline Ekindi






« L’enfant noir » de Camara Laye




Récompensé en 1954 du prix Charles Veillon, L’Enfant Noir fait partie de ces œuvres africaines qui ont échappé au thème de la colonisation vue comme acculturation (volontaire ou forcée) par de nombreux auteurs. L'auteur, Camara Laye, nous livre tout simplement la vie d’un enfant africain qui, un peu malgré lui, s’éloigne peu à peu des valeurs, des traditions séculaires du peuple auquel il appartient.

Le personnage principal de l’œuvre commence sa vie à Kouroussa, une petite ville de Guinée- Conakry où il partage la case de sa mère. La concession de son père, dans laquelle il vit, fourmille d’activités diverses ; le petit Camara est donc très tôt en contact avec la vie de la petite communauté à laquelle il appartient. Fils du forgeron le plus réputé de la ville, il est baigné dans un univers un peu mystique et il apprend très tôt que les objets, les animaux, les personnes ne sont pas toujours ce qu’ils ont l’air d’être. Dès ses premières années, il apprend par exemple à reconnaître le serpent noir qui représente le totem de son père et à ne pas s’étonner que sa mère puisse d’une simple injonction rendre docile un cheval récalcitrant.

Il passe aussi beaucoup de temps à Tindican, le village de sa mère, où il retrouve sa grand-mère, ses oncles et aussi ses petits camarades de jeux pour lesquels il est déjà un peu « le garçon de la ville ».

A l’école, comme beaucoup de ses camarades, il subit les brimades des élèves de la « grande classe », ceux qui doivent passer le certificat d’études, jusqu’au jour où son père décide d’intervenir. Quelques temps après cette intervention, le directeur de l’école, jugé trop laxiste par les parents d’élèves, est renvoyé et remplacé. Camara poursuit alors une scolarité sans histoire et passe sans problème ni surprise son certificat d’études.



Camara Laye




Comme beaucoup d’enfants africains, Camara passe par l’inévitable épreuve d’initiation, qui est dans sa coutume divisée en deux étapes ; il entre dans l’ « association des non-initiés », qui rassemble les adolescents incirconcis âgés de douze à quatorze ans. Quelques temps plus tard, Camara doit subir l’épreuve de la circoncision. Il s’attarde beaucoup sur cette dernière, qui représente de manière significative aux yeux de la tradition la « naissance à la vie d’homme ». Camara raconte la semaine qui précède sa circoncision, mettant beaucoup l’accent sur les diverses danses et l’esprit de fête qui entourent cet événement, ainsi que sur la nervosité croissante des futurs circoncis. Le jeune garçon commence à saisir sa nouvelle condition d’homme lorsque, en rentrant après la période de convalescence consécutive à sa circoncision, il découvre sa case à lui, désormais séparée de celle de sa mère, bien que proche de celle-ci. Camara éprouve alors une satisfaction teintée de tristesse ; satisfaction d’être un homme, d’avoir « l’âge de raison ». Mais tristesse d’être un homme, de s’éloigner de façon inéluctable de sa mère, de la simplicité de son enfance.

A quinze ans, Camara quitte sa famille pour Conakry, la capitale, où il doit suivre un enseignement technique à l’école Georges Poiret. Il est accueilli de façon chaleureuse par le frère de son père qui, avec ses femmes et ses enfants, lui donne un nouveau foyer dans lequel il se sent vite à l’aise, après une première année d’adaptation difficile.



« L’enfant noir » a été traduit en plusieurs langues




Ses années loin de sa maison, de ses parents, marquent le début de son émancipation réelle en tant qu’homme. Ses séjours à Kouroussa deviennent alors l’occasion de rencontrer ses amis d’enfance, d’affiner des amitiés anciennes et de s’amuser comme tous les jeunes garçons de son âge.

Après l’obtention de son certificat d’études professionnelles, Camara convainc ses parents de le laisser aller en France pour y poursuivre ses études. Il est, encore une fois, à un stade de sa vie où la joie de ses futures découvertes le dispute à la tristesse de savoir qu’il ne reverra pas les personnes qu’il aime avant un certain temps, et il va vers la France, vers son avenir, la tête haute mais les larmes aux yeux.

Dans ce roman, Camara Laye rend de façon simple sans fioritures inutiles la réalité d’un monde qui change. Il se rend compte, dès son enfance, qu’il ne sera pas forgeron comme son père, que celui-ci a pour lui d’autres objectifs et souhaite que son fils aîné puisse saisir la chance que lui-même n’a pas eue de recevoir une éducation scolaire. Camara, qui est un enfant sensible, ressent à travers son quotidien que la vie n’est plus la même. Il sent qu’il ne pourra pas s’inscrire dans le fil de l’histoire de sa famille, que certains de ces secrets que les hommes d’une famille se transmettent de génération en génération, certains de ces mystères qu’il a observés avec ses yeux d’enfants, resteront toujours à ses yeux des secrets, des mystères qu’il n’aura pas percés ; Camara laisse donc derrière lui, en allant à l’école française, puis à Conakry et en France, plus que sa famille : il laisse aussi un peu de son histoire.

Avec ce livre qui, presque malgré son auteur, reflète ce que la présence européenne, même discrète, a pu apporter comme changements dans des traditions un peu figées, certes, mais qui représentent souvent la « personnalité » des peuples, on ne peut que se demander, encore une fois, si dans un monde où l’occidentalisation semble être devenue le mot d’ordre de tout le continent africain, où les cultures locales se perdent au profit de la sacro-sainte « mondialisation », il ne faudrait pas parfois penser à s’arrêter un instant d’ « évoluer », le temps de garder ce qu’il nous reste de notre culture, d’acquérir de nos parents les valeurs qui font la personnalité de nos tribus pour pouvoir, à notre tour les transmettre à nos descendants. Pour que l’Afrique reste un continent à part entière et que les cultures africaines ne deviennent pas un reflet mal dégrossi de celles qui nous ont été imposées à l’origine mais dont nous nous faisons des modèles à égaler, des idéaux établis, au fil du temps.

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